Premières Mesures Révolutionnaires (par Eric Hazan et Kamo, La Fabrique, 2013)
Commentaires sur les Premières Mesures Révolutionnaires (par Eric Hazan et Kamo, La Fabrique, 2013).*]preprint/ Rivista11 [
On s’interrogera tout d’abord sur le pseudonyme « Kamo ». Non pas qu’on ignore qui se cache derrière, mais parce les traits du masque même sont flous. Est-ce de l’hébreu ? Ce nom signifierait alors « comme ». Comme quoi ? Comme le comité ? Avouons notre désarroi : rien de sûr de ce côté-là [1]. Ce qui est sûr, c’est le vrai nom de l’auteur. Un certain Julien C., qui ne signe jamais ses œuvres, et on se demande bien pourquoi, tant ses formules lapidaires sont typées et faciles à reconnaître. Il aimerait avancer masqué, comme Descartes, mais il a maintenant bien du mal à garder l’anonymat. Sa personne a en effet beaucoup fait parler de lui il y a quelques années au sein d’un comité devenu très visible grâce à l’attention de la police et aux feux des médias. Premières Mesures Révolutionnaires est la suite de l’Insurrection Qui Vient, publiée chez le même éditeur en 2007. Ce texte était autorisé, pour sa part, « Comité Invisible », et reprenait la matière publiée dans la revue Tiqqun quelques années plus tôt. Le jeune Julien C.,avance toujours avec la même assurance prophétique. C’est ce qui fait, en partie, que son écriture est si parfaitement reconnaissable, même si légèrement brouillée dans tel ou tel texte par tel ou tel collaborateur subalterne ; de plus, il distribue lui-même (intentionnellement ?) de sérieux indices pour qui douterait encore un peu de son identité. Par exemple, dans Premières Mesures Révolutionnaires, sa connaissance de ce qui se passe sur le plateau de Millevaches, son mépris des professeurs d’école de commerce, sa jeunesse exaltée revendiquée dans le prologue, ou une amusante allusion à d’hypothétiques policiers complotant dans une arrière-salle de café . Il oublie parfois à ce point son sénile collaborateur et éditeur, Eric Hazan, que ressurgit un « je » de narration (pardonnez-moi, p.101). Enfin, on peut penser que si même les incompétents des « services » français le reconnaissent, c’est que ça n’est pas bien difficile pour quiconque sait lire. On peut donc par conséquent penser aussi qu’il ferait mieux d’assumer ses oeuvres. Persona si ressemblante ne trompera personne.
Ce nouveau texte est dans la lignée directe de l’Insurrection Qui Vient, aussi bien pour la prose brillante que pour l’intelligence des idées présentées. Il nous place dans une situation post-insurrectionnelle et explore les chemins à suivre pour éviter les lendemains qui déchantent. Ce thème des « mesures à prendre », qui donne son titre au livre, et que l’on qualifiera de positif, répond à un autre thème, négatif : l’analyse du capitalisme démocratique, fauteur de misère et de dépression. On se souviendra que c’était déjà les deux aspects de l’Insurrection Qui Vient : les cercles des enfers du présent sans issue, et l’organisation salvatrice par les communes. La partie positive est beaucoup développée dans Premières Mesures Révolutionnaires. Le rôle essentiel à tenir pour les communes est précisée avec de nombreux exemples concrets, une recherche des solutions, parfois théoriques, parfois inspirés par les expériences personnelles des auteurs : les hôpitaux pour Hazan, Tarnac pour Julien C. On y trouve aussi plus d’histoire (révolutionnaire, de l’antiquité aux révolutions arabes), et moins de poésie et de mystique que dans l’Insurrection Qui Vient. On y trouve toujours la même mise en valeur des verbes pronominaux, réfléchis ou surtout réciproques, pour impliquer le lecteur, qui est également une des « marques » de l’auteur : se trouver, s’organiser… pour finir sur un rencontrons-nous. Julien C. n’écrit pas pour faire des livres, mais pour agir sur son lectorat, et par-delà, sur le monde.
Premières Mesures Révolutionnaires fait beaucoup référence à l’actualité, comme le faisait l’Insurrection Qui Vient en son temps. C’est là une faiblesse de ces textes : bien des allusions deviendront vite hermétiques. A relire les premières pages de l’Insurrection Qui Vient, on s’amuse de retrouver une allusion au duel présidentiel Sarkozy/Royal, et de constater combien d’eau a coulé sous les ponts. Mais on se baigne toujours dans le même fleuve du présent sans issue. Et si on admire l’écriture, on doute que l’usage du futur de l’indicatif et des énoncés performatifs sera suffisant pour faire advenir une insurrection. On serait plutôt d’accord avec lui pour constater que l’édifice social a d’or et déjà réussi à mettre en place sa propre éternité décomposée (p.106).
Julien C. irrite parfois. Il excelle dans l’art d’annihiler qui lui déplait, et c’est souvent qui lui ressemble. Ainsi une allusion à la jeunesse des banlieues et au malheureux Finkielkraut (p.73) : Contre eux s’exerce la férocité des brigades anti-criminalité et des intellectuels attachés aux bonnes manières et à l’usage correct du subjonctif. Il nous semble que le jeune Julien C., nonobstant ses postures de caïd, est lui aussi attaché aux bonnes manières (littéraires, tout au moins ; d’ailleurs il s’excuse en citant Houellbecq), et que sa prose est bien plus proche de celles des intellectuels qu’il attaque que du rap décérébré de la jeunesse ségréguée qu’il défend. Quant à nous, nous nous intéressons beaucoup aux usages du subjonctif, et nous trouvons d’ailleurs matière à réflexion dans son texte, si tant est qu’il soit possible (p.42). On se demandera au passage ce qu’est une politique des halls d’immeubles, et on ne doutera pas que cette jeunesse jouera son rôle dans la mise à bas du capitalisme démocratique. Plus sérieusement, on se dit qu’il serait peut-être tant que le jeune Julien C., qui aime à citer Hegel, se décide à assumer son héritage culturel : il est un pur produit intellectuel de la haute bourgeoisie française. Ce n’est pas ici un reproche, car il est agréable à lire. Nous signalons au passage que les écoles de commerce ont bien monté dans notre estime depuis que nous savons qu’il y est passé. Mais que de difficultés à assumer son nom ! Son éducation !… Julien C. ne semble pourtant pas avoir tant de problèmes à assumer son héritage financier. Ne pourrait-il pas là s’inspirer de Wittgenstein ? Mais il est vrai qu’il donnerait encore bien du souci à son papa.
Mais non, le jeune Julien attend Godot. L’insurrection qui vient s’est perdue quelque part, c’est qu’il a mal balisé le chemin. Ca fera bientôt 2000 ans que les Chrétiens attendent l’Apocalypse, sans parler des Juifs et du Messie, et on se demande si Julien n’essaye pas de mettre au goût du jour une nouvelle eschatologie révolutionnaire. Alors, en attendant l’insurrection qui ne vient pas, on aimerait que le jeune Julien mette sa plume au service de sujets un peu plus sérieux : la philologie ou l’ontologie par exemple. Nous serions d’ailleurs ravis de lui ouvrir nos colonnes.
L. Fresneau et O. Bursatti 
[1] Une requête sur un moteur de recherche bien connu nous apprend que c’est également le surnom d’un révolutionnaire oriental.
[1] Une requête sur un moteur de recherche bien connu nous apprend que c’est également le surnom d’un révolutionnaire oriental.